26/11/2024

« Les Elles » cultivent l'égalité paysannes - paysans


Tous les deux mois, elles se réunissent entre femmes, agricultrices et salariées, pour partager leur vécu et pour des formations, techniques en particulier. Le groupe Les Elles de l'Adage 35 (1) leur donne « confiance en soi ». Amande Gat et Gwennenn Montagnon témoignent.


Une formation à la conception et construction de charpente en bois a été organisée avec deux charpentières.(Photo Adage)

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Le groupe des Elles organise plusieurs activités : « Il y a une partie où on réfléchit à notre condition en tant que femme paysanne. Il propose des formations techniques, et des interventions à l'extérieur,  pour plusieurs types de public », souligne Anaïs Fourest, animatrice à l'Adage  : des interventions et des participations à tables rondes dans des  salons ou des collectivités  sur les questions de  genre en agriculture. « On a été sollicitées par un cinéma,  se souvient Amande : je suis allée témoigner à la sortie du film "Croquantes" (2) à Redon. Ça permet de parler au grand public. »

 « On a besoin de continuer à prendre confiance en nous et de se sentir légitime », précise Gwennenn à propos des formations techniques. « Pouvoir le faire ensemble entre femmes, en non mixité, sans jugement, sans la petite blagounette qui déstabilise... Ça fait qu'on revient sur nos fermes, en se disant : c'est bon, je le fais. » Elle a ainsi participé à une formation tronçonneuse, puis soudure, électricité et conduite de tracteur...

Une formation "tracteur"
 
Amande a d'abord participé à un autre groupe d'éleveurs de l'Adage, à l'occasion d'un stage.

"Au début, je suis allée aux formations techniques. Je n'allais pas trop aux réunions d'échanges".
https://www.histoiresordinaires.fr/De-ses-prairies-a-la-mairie-les-defis-d-une-femme-libre_a2460.html « J'ai trouvé ça génial de voir la bienveillance de ce groupe. Je ne connaissais rien en élevage. J'ai pu poser des questions qui pouvaient paraître complètement stupides à un éleveur. Personne n'a rigolé, ils on juste répondu. » Elle poursuit : « Assez rapidement je me suis retrouvée à une formation  "tracteur" avec le groupe des Elles. J'avais fait pas mal de tracteur en stage, mais avoir un petit groupe entre nanas où l'on pouvait faire un peu plus, des manœuvres que j'avais pas forcément l'occasion de faire en stage (...) Au début, je suis allée aux formations techniques. Je n'allais pas trop aux réunions d'échanges, je n'étais pas vraiment installée, je n'avais pas de vécu à partager. Mais j'avais des questions ». Quelques unes l'ont encouragée  :  "C'est pas parce que t'es pas installée depuis 10 ans que t'as pas le droit de venir." J'étais légitime comme toutes les autres. »
 
Au début par curiosité
 
Le groupe des Elles s'est formé en 2017.
« J'ai commencé à venir aux réunions avant d'être installée. J'y allais au début, un peu par curiosité, raconte Gwennenn. J'ai eu raison, c'est un super groupe. Le mot féminisme n'est pas sorti tout de suite. C'était un partage d'expériences, on a défriché un peu ce qui était commun entre nous.  La plupart du temps, on pensait avoir des situations très personnelles sur nos fermes, comme la répartition des tâches genrées, le déséquilibre entre le travail à la ferme et le travail domestique,  la spécialisation, les rapports aux outils... »
En discutant entre elles, elles constatent que les mêmes situations les  concernent toutes. Ces questions ne sont pas individuelles :
« Alors, ça fait du bien : on sort de la culpabilité individuelle et ça nous permet de pouvoir mettre en place des actions et de prendre du recul sur ce qui se passe chez nous. »

"C'était un partage d'expériences, on a défriché un peu ce qui était commun entre nous."
Un réseau de marraines
 
Dans les établissements de formation, elles interviennent  pour une sensibilisation aux stéréotypes femmes-hommes. « Le fait qu'on intervienne et qu'on mette ça en lumière permet un petit coup d'accélérateur sur ces questions-là », note Gwennenn.

Actuellement, précise Anaïs, Les Elles ont un projet de recherche-action avec  le Civam-installation : le projet « dégenrer l'installation agricole » devrait accompagner  des porteuses de projet et leur rendre l'installation plus accessible. Elles prévoient de créer un réseau de « marrainage » pour accompagner les filles. Autre objectif : créer un répertoire de fermes qui accueille des stagiaires, des apprenties, qui s'engagent à proposer le même type de tâches aux filles et aux garçons.

Les échanges se font aussi dans les fermes. « Fin août, on a accueilli un groupe de Brésiliennes à la ferme, dans le cadre du groupe des Elles. Ça a été passionnant !, raconte Amande. Les cultures sont différentes, le contexte est différent. Elles ont une culture de la lutte et du collectif qui est très inspirant. ». En janvier 2025, un groupe d'agricultrices, dont deux membres des Elles, part deux semaines au Nordeste du Brésil (région de Recife) pour rencontrer d'autres agricultrices et se former en agro-écologie (3).

Jean-François Bourblanc

(1) L'Adage 35 est le Civam d'Ille-et-Vilaine. Les CIVAM (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) sont des groupes d’agriculteurs et de ruraux qui travaillent de manière collective à la transition agro-écologique. Ils constituent un réseau de près de 130 associations qui œuvrent depuis 60 ans pour des campagnes vivantes. Le groupe des Elles est l'un des groupes départementaux de l'Adage 35.

(2) « Croquantes », film réalisé par Tesslye Lopez et Isabelle Mandin
60mn - 2022

(3) Voyage organisé par AMAR et le Réseau Bretagne Solidaire

Voir aussi sur Histoires ordinaires :
Gérard Bricet, paysan, retraité dans un quartier populaire
De ses prairies à la mairie, les défis d'une femme libre
La vie si dure et si douce de Lydie la chevrière
Maëla Naël pratique et propose  la ferme collective

Tout est en vente directe
«Traiteur paysan »
Amande Gat et Damien Franco-Sanchez, son conjoint, travaillent sur la Ferme Les Trognes à Tresboeuf (Ille-et-Vilaine). Une ferme de 60 ha, en  vaches allaitantes, avec un atelier porcs plein air, un verger et des  légumes transformés : des confitures en petits pots. « Je fais des repas à partir des fruits, légumes et de  la viande de la ferme ». Tout est en vente directe. « Notre débouché principal : les  restaurateurs et les bouchers à Rennes. Et en vente à la ferme : des colis, du détail  et une Amap. » Amande résume : « On est traiteur paysan ».
« Damien et moi on a grandi en milieu rural. Il a fallu tout apprendre. On est parti en se disant qu'on allait s'installer en lisant des livres et en regardant des vidéos Youtube. Évidemment c'était un peu plus compliqué que ça. »
«  On est allé faire des stages, des formations pour avoir un diplôme agricole.  Le projet a un peu évolué, avec un coup de foudre pour la vache, je n'avais pas du tout anticipé. En discutant avec des éleveurs, on s'est rendu compte que l'élevage bovin est moins physique que l'élevage de petits ruminants. Par exemple, les moutons sont beaucoup plus manipulés que les vaches. Finalement on peut très bien être éleveuse en tant que femme, même si on a une petite constitution physique. »
Le travail lui laisse-t-il un peu de temps ?
« Je suis chanteuse. J'avais un groupe de musique. J'aimerais bien reprendre . Mais on a du mal à se donner le temps de faire ça. Dans le cadre professionnel, j'écris beaucoup sur les réseaux sociaux (LinkedIn) .ou pour le papier : J'essaie de partager, de raconter ce qu'on fait. On a une newsletter, sur la ferme. »

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« Je tente une technique encore peu utilisée".
« Des bébés Civam »
« On est arrivé sur cette ferme (gaec Ty  Menez à La Chapelle Chaussée) en avril 2018, avec mon conjoint, Louis Motte, raconte Gwennenn Montagnon. C'est une ferme de 40 ha avec 40 vaches laitières en production de lait bio. ». J'ai fait un BPREA, l'année d'avant. Ni mon compagnon ni moi ne sommes issus du milieu agricole. On a bien  suivi toutes les formations à l'installation des Civam. C'est précieux,  ça permet d'avoir des pairs avec qui échanger. »
Avec humour, elle ajoute : « On est des bébés Civam »
« En janvier 2024, on a arrêté la production laitière. Nous avions pris la décision un an et demi auparavant. La plupart des fermes familiales ont l'équivalent d'une personne qui travaille gratuitement, un père ou une mère à la retraite... On a aussi arrêté le lait, parce que l'on a deux enfants en bas âge. Si on a voulu devenir paysan et paysanne, c'est parce qu'il y avait l'envie de se rapprocher du vivant, d'un rythme près des saisons, etc.  En fait on cravachait toute la journée ».
Aujourd'hui, la ferme réunit un troupeau de vaches allaitantes et un atelier de céréales  à destination des poules pondeuses des particuliers. « On a augmenté l'arboriculture. Je produis du jus de pomme, du vinaigre de cidre, et des produits à base de vinaigre de cidre (moutarde, chutneys). Une production de confitures. Je viens d'implanter un hectare de verger diversifié".
Le projet : ouvrir  le verger d'ici deux à trois ans en cueillette d'automne à la ferme des week-ends, en septembre et octobre.
Gwennenn explique :
« Je tente une technique encore peu utilisée. C'est inspiré des vergers en permaculture. Il est pensé en trois strates différentes : une strate couvre sol, avec des aromatiques et des légumes perpétuels ; une strate buissonnante avec des petits fruits (framboise et cassis...) ou des grande fleurs. Une strate arbre avec les pommiers , les fruitiers, Il s'agit de fournir le maximum d'habitat aux auxiliaires, On verra ce que ça donne » ajoute-t-elle prudente. « L'Adage aide aussi à prendre des responsabilités : c'est un tremplin », insiste Gwennenn.
 

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"Les Elles" choisissent les thèmes de leur formation
Créé en 2017, Les Elles réunissent  une vingtaine de femmes, agricultrices ou salariées : une dizaine très actives, d'autres plus occasionnelles. « Potentiellement toutes les femmes des 120 fermes adhérentes à l'Adage peuvent y participer. Le groupe n'est pas figé » précise Anaïs Fourest « Une trentaine y ont déjà participé ». Elles se rencontrent une fois tous les deux mois, et pour 5 journées de formation par an en moyenne. L'Adage regroupe une large majorité de fermes « bovins-lait », de même dans le groupe des Elles « Il y a aussi des éleveuses sur des fermes en bovins allaitants. Quelques unes en petits ruminants, brebis ou chèvres. Certaines ont des productions végétales de transformation (cidre, vinaigre, confitures...)  Il y a toujours de l'élevage. »

Une majorité de fermes est gérée en couple, quelques-unes  collectives, familiales ou avec des tiers. Ce sont les membres du groupe qui définissent les thèmes des formations. Il y a eu, par exemple, « Concevoir et construire un outil » accompagné par  l'Atelier paysan. Deux types d'outils  ont été fabriqués : un repousse fourrage sur la fourche du tracteur, un chariot de transport de piquets de clôture. Un cycle de formation à la conception et construction de charpente en bois a été organisé avec deux charpentières en construction traditionnelle.

Les femmes du groupe interviennent pour une sensibilisation aux questions de genre, aux stéréotypes femme-homme,  dans des établissements de formation (BTS, BPREA, terminales) et lors de tables rondes institutionnelles (Préfecture, Sénatrices, Rennes Métropole, ...).

Voir aussi le clip vidéo réalisé par Les Elles à l'occasion d'une assemblée générale de l'Adage.

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Potentiellement toutes les femmes des 120 fermes adhérentes à l'Adage peuvent participer au groupe Les Elles". (photo Adage)




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